laurence lemaire la Plume |
accueil les Dessous d’une pince à linges retour : expos |
Le linge sale, lavé en famille, s’exhibe une fois propre, au public. Il faut que ça sèche. Il faut que ça se sache. Le linge raconte la peau de l’Homme, le désir innocent de ses draps. Les murs se colorent. Le Mistral fantasme et se réchauffe : il soulève une jupe plissée telle une montgolfière. Il suffit de regarder en l’air, s’il y a du linge c’est qu’il fait beau… Madame Pointu riposte : « En ce qui concerne le linge qui pend aux fenêtres et les choses posées sur les rebords, il faut voir votre règlement de copropriété. Pour l'harmonie de la façade, j'ai toujours vu cela interdit dans notre petite France. Regardez dans les pays du Sud comme c'est laid de voir tout ce linge qui s'étale ! » Moi, je ne suis pas contre... Les culottes des Chinois sont en coton. Ils se moquent bien du 5 % de lycra pour épouser mieux la fesse, de la légère micro-fibre qui sèche rapidement et même de la soie délicate locale. Les importations de bas, collants et chaussettes chinoises se sont multipliées, mais pas de petite culotte et pour cause. Si elle ne voyage pas, la culotte chinoise cent mille fois lavée, s’exhibe, pincée aux cordes, aux fils électriques, aux nuages gris. Elle prend l’air, se libère : déjà sèche, elle sort des tiroirs pour être purifiée ! Le Feng Shui est né en Chine autour du IVe siècle avant J-C. C’est une discipline, une science, une technique. Feng signifie Vent - d'où le nom de typhon qui veut dire grand vent. Shui c'est l'Eau : leur rapport d'équilibre harmonise, purifie et protège l'espace autour de nous. La culotte chinoise est exposée au vent, au soleil, à la pluie. Si le Chinois a remisé le costume bleu pour une flanelle grise, son dessous reste indémodable, abordable, présentable. Seule, la jeune-fille le réforme et montre un string révolutionnaire sous son jean, mais pas sur le fil. A croire qu’on ne peut pincer que le vieux modèle, le basique, l’increvable petit-bateau plus ou moins enveloppant. A croire que les fines dentelles sont exceptionnelles, aimables comme un objet sexuel exclusif, éternellement pur. Dans Mes pensées, Montesquieu écrivait : « La pudeur sied bien à tout le monde ; mais il faut savoir la vaincre et jamais la perdre. » Le Chinois, ce qui n’exclut pas certains Français, connaît bien cette disposition à éprouver de la gêne devant ce qui peut blesser la décence, devant l'évocation de choses très personnelles. La discrétion, la retenue, la délicatesse et la modestie font parties de ses qualités. Il vit à trois ou quatre générations sous un même toit, un 40m2, sans se gêner. Ses voisins n’ont pas de rideaux et jamais il n’a l’idée de regarder chez eux. Le Français, lui, se cache derrière ses volets clos le protégeant du climat soi-disant, des regards surtout : se cacher, épier… Observer sans participer, attiré par le mystère de l'autre. Les mateurs que nous sommes préservent leur intimité. Le Chinois, il s’en fout. Et il exhibe ses culottes sans retenue, sur un fil traversant la rue. Dans notre France, le vent dévoile un tag, une moulure. Mais point de petites culottes. La pudeur est partout dans sa différence. |